Tunisie : Les sacs en plastique, entre nécessité économique et effets nocifs

Mar, 18/04/2017 - 08:32

Pratiques et moins coûteux, les sacs plastiques à usage unique, considérés comme des dérivés du pétrole, constituent une grande menace pour l’environnement et la santé humaine en Tunisie. Il y en a partout! Il suffit d’une journée très ventilée pour que ces contenants légers virevoltent dans tous les sens et claquent aux barbelés des clôtures pour défigurer le milieu urbain et naturel et montrer le visage le plus hideux d’un pays doté, pourtant, de milliers de paysages naturels sublimes.

En l’absence d’une prise de conscience environnementale, les experts recommandent une démarche progressive pour l’interdiction de l’usage de ces sacs, dont les effets nocifs sur la santé sont faciles à prouver.

“Les sachets colorés utilisés souvent pour emballer des denrées alimentaires sont les plus dangereux”, selon l’expert de l’environnement et de développement durable, Mohamed Adel Hentati, qui recommande l’interdiction de l’usage des sachets colorés avant toute autre mesure.

“Ces contenants une fois mis en contact direct avec les aliments provoquent la migration d’éléments toxiques vers les denrées qui seront consommées par la suite, d’où le risque d’atteinte de cancer”, a-t-il prévenu. En effet, les scientifiques s’accordent sur le fait que le danger des plastiques vient essentiellement des adjuvants, des solvants, des catalyseurs et autres produits chimiques qui sont utilisés pour provoquer la polymérisation, pour teinter, ou pour modifier les propriétés des plastiques.

Selon l’expert, ce risque d’atteinte du cancer est encore plus important “lorsque les sacs colorés contenant des aliments, sont exposés à la chaleur”. La chaleur réagit avec les produits chimiques du plastique, ce qui libère de la Dioxine dans aliments. La Dioxine est une toxine que l’on trouve en augmentation dans les tissus du cancer du sein.

En Tunisie, la part des déchets plastiques est estimée à 11%. 1 milliard de sacs plastique sont produits chaque année dans le pays en l’absence d’alternatives de valorisation et de recyclage, ce qui est à l’origine d’une énorme pollution. Car, ces sacs fins servent en moyenne 20 minutes, pour les courses, puis finissent souvent comme sacs poubelle et se trouvent après au fond des mers et des sols.

C’est ainsi, que le gouvernement a conçu et déposé, depuis quelques mois, à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), un projet de loi relatif à l’interdiction d’exporter, de distribuer et de fabriquer des sacs en plastique fins.

En attendant l’adoption de ce projet de loi, qui a suscité la controverse, le département de l’Environnement a opté pour une fuite en avant en lançant une initiative avec les 4 principaux supermarchés pour interdire la distribution des sacs en plastique au niveau des caisses de l’ensemble de leurs magasins, dans toute la Tunisie. Cette initiative, même si elle n’a pas fait l’objet de consensus, a permis de réduire le nombre des sacs plastiques de 315 millions unités.

Le commerce parallèle rend difficile l’application de la loi

“80 % des sacs plastiques à usage unique proviennent du marché parallèle et de l’importation, notamment de l’Algérie alors que les industriels tunisiens n’en fabriquent que 20%”, rappelle Hentati, appelant à interdire l’importation de ces contenants qui nuisent à la santé et à l’environnement et aussi à l’industrie formelle.L’expert estime qu’il s’agit d’un “phénomène sociétal et non environnemental” qui exige une prise de conscience des différentes composantes de la société, avec la famille en premier lieu.

“Nous devons passer du théorique au pratique. La promulgation des lois ne peut être efficace qu’en associant et en impliquant la société dans cet effort. Et pour le faire, nous devons la sensibiliser pour que ce refus (des sachets plastiques) soit la décision personnelle de chaque citoyen”, a-t-il noté, ajoutant qu’en parallèle, l’Etat doit investir dans les sachets oxo-dégradables (mélange de polymères synthétiques avec des additifs végétaux ou sel de métaux).

Les alternatives existent: des sacs en alfa par exemple

Le président de l’association environnementale “INMAE” de la délégation Maâmoura (Nabeul), Lotfi Ben Slimane, plaide aussi en faveur d’autres alternatives écologiques. Il propose de commercialiser de nouveaux contenants amis de l’environnement qui peuvent être fabriqués à base d’alfa, par exemple. “Ceci permettra à la fois de créer de nouveaux postes d’emploi et de préserver le patrimoine artisanal tunisien”, a-t-il dit.

L’activiste considère que la stratégie de réduction de l’usage des sachets plastiques doit être basée sur 3 principaux axes: La sensibilisation des citoyens à travers des actions menées en étroite coopération avec la société civile, la mise en application progressive des textes juridiques en la matière, et enfin, la présentation des alternatives.

Par ailleurs, un projet pilote baptisé “zéro déchets” sera lancé bientôt, par l’association dans la région d’El Maamoura (8.000 habitants), en collaboration avec l’ANGED. Il s’agit d’inculquer aux familles de cette localité des pratiques de gestion des déchets ménagers à la source. Le tri des déchets dans la perspective de recyclage (déchets organiques, plastique, papiers et métaux), au niveau de chaque ménage semble la meilleure solution, d’après Ben Slimane.

“Nous sommes actuellement à la recherche de bailleurs de fonds pour le financement de ce projet, dont le coût est estimé à 250 mille dinar”, a-t-il souligné.

Pour les industriels du plastique, la mue est beaucoup plus compliquée

Du côté des industriels, la démarche d’interdiction de l’usage des sachets plastiques est beaucoup plus compliquée. Jamel Ibrahim, chef d’une société de fabrication de sachets plastiques à Monastir, a souligné que les usines de fabrication de plastique ne sont pas contre le nouveau projet de loi, mais elles revendiquent un soutien de la part de l’Etat pour pouvoir changer d’activité et assurer la pérennité de leurs sociétés.

“J’ai investi plus de 2,5 millions de dinars rien que pour l’acquisition des équipements mécaniques et j’ai contracté plusieurs crédits afin d’assurer un bon fonctionnement de ma société, qui emploie plus d’une centaine de personnes”, a-t-il dit. “Ce n’est pas facile de tout abandonner”, se désole l’industriel.

Il a fait remarquer, par ailleurs, que le problème ne se pose pas au niveau des sociétés légales de fabrication de sachets en plastique, mais plutôt au niveau des usines opérant “dans le noir”, dont le nombre s’élève à 40, car ils recyclent les sachets déjà usés pour fabriquer de nouveaux sacs de très mauvaise qualité qui dégagent une odeur étouffante.
“C’est à ce niveau qu’il faut réagir et qu’il faut prendre des mesures sévères, surtout que ces entreprises fonctionnent avec un minimum d’employés (pas plus d’une dizaine) et n’apportent rien à la trésorerie de l’Etat”, a précisé Ibrahim.