Transfert de l’aéroport de Tunis-Carthage : Signes avant-coureurs de spéculation sur le site

Mar, 15/11/2016 - 07:40

Au commencement «une remarque apparemment anodine» du journaliste écrivain, Safi Saïd, qui était l’invité de l’émission «Liman Yajroo Fakat» (Pour qui ose seulement) diffusée dans la soirée de dimanche 6 novembre 2016 sur la chaîne TV El Hiwar Ettounsi.

Sans crier gare et sans être interpellé sur le dossier, ce dernier a évoqué la nécessité de transférer en dehors de Tunis l’aéroport de Tunis-Carthage devenu, selon lui, un goulot d’étranglement.

Pour ce faire, il a proposé de financer le nouvel aéroport par les recettes qui seraient générées par la vente du terrain de l’aéroport actuel. Selon lui, compte tenu de la qualité du site et de sa localisation au carrefour de plusieurs quartiers standing (Berges du lac, La Soukra, La Marsa, Carthage…), la cession de ce titre foncier pourrait même rapporter à l’Etat de quoi financer deux nouveaux aéroports.

[anis-ghedira-transport-aeroport-tunis-carthage] Trois jours après, cette idée a fait mouche auprès de certains députés qui ont saisi l’opportunité de l’examen en commission du budget du ministère du Transport pour demander à son locataire, Anis Ghedira, si son département a prévu dans ses stratégies un transfert en dehors de la capitale de l’aéroport de Tunis-Carthage.

Dans une réponse vague mais pleine d’insinuations pour les prédateurs des sites juteux, il a révélé que «son ministère est actuellement en train d’étudier les besoins nationaux dans le secteur du transport aérien jusqu’en 2030 et 2040, avant de prendre une décision finale quant à l’extension ou au déplacement de l’aéroport international Tunis-Carthage».

Les scénarios prévisibles

L’évocation d’une telle affaire n’est pas innocente en cette période de précarité financière et de resserrement du budget. Elle aurait a priori des relents de spéculation foncière. Des prédateurs locaux, handicapés par la rareté de terrains constructibles dans la capitale et frustrés de voir les plus beaux sites déjà cédés à des groupes étrangers (Sama Dubai pour «La porte de la Méditerranée», Tunis Sport City au groupe Boukhater… ), sont tentés de faire du bruit sur cette affaire de transfert.

Leur stratégie, on peut l’imaginer. Elle consisterait à faire du bruit sur ce dossier dans les médias, question de le banaliser, à mobiliser les Tunisois qui voient d’un mauvais œil un aéroport international au centre de la capitale, à demander aux députés acquis à leur cause –vous avez compris- à en parler et à mettre ainsi la pression sur le gouvernement pour obtenir gain de cause.

L’affaire est jouable d’autant plus que le délicat volet du financement ne se pose pas pour la construction d’un nouvel aéroport.

Pour la PDG de Tunisair, ce n’est pas urgent

Ce projet de transfert n’est pourtant pas du goût de la partie la plus concernée, en l’occurrence le transporteur national, Tunisair. Interpellée sur cette problématique de transfert dans le cadre d’une interview accordée, il y a quelque mois, à un magazine de la place, Sarah Rejeb, PDG de la compagnie, avait reconnu certes que l’aéroport Tunis-Carthage a atteint ses limites de capacité, mais rien n’urge pour le moment.

Elle a même sa propre idée sur le dossier et elle est fort intéressante. Pour elle, «compte tenu de la capacité totale de tous nos aéroports (19 millions de passagers) et du fait que l’année 2015, toutes compagnies confondues (Tunisair et les autres compagnies) n’ont accueilli que 7 millions de passagers au total, j’estime qu’il y a encore de la marge».

Et Sarah Rejeb d’ajouter: «A ce sujet, je pense que la Tunisie a intérêt à développer une vision globale de tous les modes de transport et à créer, à titre indicatif, des lignes ferroviaires rapides avec les zones touristiques (Enfidha, Tabarka, Monastir). C’est pourquoi, je considère qu’il serait plus judicieux et plus rentable pour le pays de développer le ferroviaire en complément de la logistique aéroportuaire que de construire un autre aéroport d’autant plus que nous sommes en surcapacité en matière d’aéroports. Car de nos jours, les distances ne se mesurent pas en nombre de kilomètres mais en nombre de minutes».

A priori, ce projet est défendable et mérite toute l’attention du gouvernement, particulièrement du ministère du Transport appelé «à faire, dans la transparence la plus totale, des études comparatives entre les divers scénarios avant de s’engager dans des investissements lourds de type construction de nouveaux aéroports».

Quant aux hommes d’affaires du secteur, s’ils sont vraiment bien intentionnés, ils peuvent construire de nouvelles villes rentables, de type «Smart cities» dans les régions de l’intérieur. Tous les Tunisiens leur seront fort reconnaissants. L’essentiel, ici, est d’aimer son métier, celui de bâtisseur de nouvelles villes intelligentes, par exemple.

Mais au regard de la laideur de nos villes et de la qualité de nos constructions, privés et publics, la vigilance doit être de mise.

A bon entendeur.