Relancer la croissance pour atteindre +5% de PIB en termes réels afin d’améliorer les recettes, accélérer la réforme fiscale et en étendre l’assiette, relancer l’investissement public en PPP et concessions, augmenter les recettes non fiscales par des privatisations totales ou partielles (tabac, institutions financières, logistique…), maîtriser les dépenses de fonctionnement (salaires et subventions), maintenir l’effort d’investissement public tout en maîtrisant les dépenses courantes, instaurer une meilleure coordination entre politique monétaire et politique fiscale. Voilà quelques propositions qui sont à même de garantir la maîtrise du budget de l’Etat, sans recourir aux augmentations rituelles des impôts, des droits de douane et des droits de consommation.
Ces propositions ont été formulées par un panel d’experts-comptables et d’économistes, dont notamment le ministre conseiller auprès du chef du gouvernement, Fayçal Derbel, le PDG de la Banque d’affaires de Tunisie, Habib Karaouli, Walid Ben Salah, Mongi Safra et le président d’honneur de l’Ordre des experts-comptables, Moncef Boussanouga Zammouri, réunis autour d’une table ronde organisée mardi 18 juillet par l’ITEC (Institut tunisien des experts-comptables), sur le thème “Quelles solutions innovantes pour maîtriser le budget de l’Etat?”.
Les conférenciers présents ont été unanimes à dresser un diagnostic pas très brillant des équilibres budgétaires du pays. Le diagnostic met clairement l’accent sur le fait que l’évolution du budget de l’Etat sur les 5 dernières années n’a pas respecté le principe d’équilibre entre recettes et dépenses, engageant le pays dans une spirale d’endettement/remboursement.
De 2011 à 2016, l’épargne nationale est passée de 18% à 12% du PIB
Chiffres à l’appui, Boussanouga Zammouri est allé plus en détails sur ce diagnostic, rappelant qu’entre 2010 et 2016 “l’épargne nationale est passée de 18% à 12% du PIB. Le besoin de financement net de l’Etat a été multiplié par 8. A ce besoin doivent s’ajouter les financements nécessaires au remboursement du principal de la dette. Le besoin de financement brut (inclus remboursement du principal) a été multiplié par 2,5, passant de plus de 3 milliards de dinars à près de 8 milliards de dinars. Le montant de la dette publique a plus que doublé pour atteindre prés de 56 milliards de dinars, suite à l’augmentation du déficit budgétaire”.
Mais ce n’est pas tout, car “les recettes non fiscales sont restées faibles par rapport aux recettes fiscales. Les salaires des fonctionnaires ont augmenté de 11,7% par an soit deux fois plus vite que les recettes de l’Etat sur 6 ans. Le taux d’endettement public a augmenté de 51%, passant de 41% du PIB à 62% du PIB. La part extérieure de la dette publique a augmenté. En 2017 le taux d’endettement représenterait 66% du PIB”, a-t-il ajouté.
Plus de 5 milliards de dinars affectés à la lutte contre contre le terrorisme
Un constat préoccupant, selon Fayçal Derbel, qui pense que “le dérapage enregistré au niveau du déficit budgétaire du pays a été accentué par d’autres dérapages au niveau de la rémunération publique, des subventions, mais également par la guerre contre le terrorisme à laquelle l’Etat a réservé 5,3 milliards de dinars de dépenses supplémentaires entre 2011 et 2016, soit une dotation additionnelle en PIB de 1,3%”.
Derbel a également déploré l’écart existant entre les dépenses et les recettes, considérant que l’année 2018 devrait être l’année de la chasse aux fraudeurs pour pouvoir agir sur le volet recettes.
La faute aux entreprises publiques…
Quant à Mongi Safra, il estime que le déséquilibre budgétaire a été accentué par l’appui apporté aux entreprises publiques et au secteur parapublic, soulignant l’importance d’un retour à la croissance dans l’augmentation des recettes de l’Etat et le rétablissement des équilibres budgétaires.
Il plaide également pour une révision des taux d’imposition pour attirer les IDE, une meilleure gestion de la comptabilité générale du pays mais aussi pour un renforcement des ressources non-fiscales.
Le budget 2018 ne devrait pas dépasser les 34 milliards de dinars
Habib Karaouli a voulu, pour sa part, développer une approche autre que comptable. Selon lui, “le déficit en soi n’est pas un mal absolu dans toutes les situations. Si on était dans une situation de déficit dynamique keynésien, où le déficit sert essentiellement à financer des investissements productifs et donc à agir sur la croissance, ce déficit serait le bienvenu. Mais on n’est, malheureusement, pas dans cette situation”.
De même, Karaouli pense qu’on ne peut pas parler de bon ou de mauvais endettement, tout dépend de l’usage que l’on en fait. Toujours selon lui, “une loi de finances doit être un plan de bataille exprimant à un moment donné la volonté et les objectifs d’un gouvernement qui doivent consister à favoriser le bien-être d’une société, bien au-delà des aspects quantitatifs et comptables”.
Le PDG de la Banque d’affaires de Tunisie considère ainsi nécessaire “d’arrêter le gonflement inflationniste artificiel du budget -le budget 2018 ne devrait pas dépasser les 34 milliards de dinars-, essayer de trouver des solutions alternatives pour alléger le recours à l’endettement, sortir de la logique de désinvestissement actuelle, rétablir la confiance, favoriser les IDE en donnant de la visibilité, et de veiller à une meilleure application de la loi”.
Un déficit courant de près de 9%
Walid Ben Salah soulèvera, outre le problème de croissance que traverse le pays, un problème de déficit courant qui avoisine les 9%, une absence de politiques économique et fiscale, le retard pris dans la réforme fiscale et dans les autres réformes envisagées.
Considérant qu’il n’y a pas, dans l’absolu, de climat favorable aux réformes, Ben Salah estime que l’Etat doit faire preuve de courage pour pouvoir mener les réformes qu’il doit engager.
L’expert-comptable pense également nécessaire de procéder à un gel des recrutements et des augmentations dans le secteur public, mais aussi au réexamen du programme conclu avec le FMI dans le sens d’allonger un peu les échéances de réalisation des réformes, à la reconstitution du Conseil économique et social (CES) qui aura à sa charge la définition des grandes lignes des politiques à suivre et à la mise en place d’une Agence nationale de trésor qui permettrait d’avoir plus de visibilité sur les finances publiques.