En Russie, une loi relative aux organisations non gouvernementales (Ong) a été adoptée il y a plus d'un an dans la foulée du rocambolesque épisode des «espions britanniques» accusés de transmettre leurs informations au moyen d'un émetteur camouflé en caillou, et qui auraient notamment effectué d'importants versements d'argent à des Ong russes critiques envers le régime de Poutine.
La loi des «Agents étrangers»
A cet effet, et outre l'implication dans cette affaire d'espionnage, Marc Doe, deuxième secrétaire de l'ambassade britannique à Moscou, aurait versé d'importantes sommes d'argent à des Ong russes, celles-ci étaient souvent accusées par les autorités de travailler contre l'intérêt de la Russie. C'est ainsi que, le 27 octobre 2004, il aurait remis 23.000 livres sterling à l'Ong «Groupe Helsinki» de Moscou ou encore 5.719 livres à l'Ong Fond Eurasie pour le développement de journaux à faible tirage le 18 janvier 2006.
Suite à ce scandale, une loi relative aux Ong dite loi des «Agents étrangers» a été adoptée qui stipule que toute Ong qui reçoit de l'argent de l'étranger doit s'enregistrer en tant qu'«organisation remplissant les fonctions d'un agent étranger». Cette loi a ainsi étouffé les activités des Ong en Russie. Un an après son entrée en vigueur, le bilan de la loi relative aux «agents étrangers» est sinistre. Plus d'un millier d'Ong ont été inspectées et des dizaines ont reçu des avertissements. Des organisations de défense des droits humains de premier plan ont été condamnées à verser des amendes et plusieurs ont dû fermer.
En Turquie, une Ong assez controversée, l'Humanitarian Relief Foundation (IHH), a organisé ces derniers mois de nombreux convois humanitaires, médiatisés à outrance, à destination des populations syriennes victimes de la guerre civile entre le régime du président Bachar Al-Assad et la rébellion ce qui lui a valu des critiques acerbes.
A cet effet, le 1er janvier 2014, des gendarmes ont intercepté, à proximité de la frontière syrienne, des camions étrangement escortés par les services de renseignement turques dans lesquels ils ont découvert des armes, camouflés en cargaisons d'aides humanitaires sous le label de l'organisation caritative IHH.
Suite à cette étonnante découverte, la police et la justice ont procédé, le 14 janvier 2014, à une vague de perquisitions dans les locaux de l'IHH et ont interpellé 23 personnes accusées de liens avec Al-Qaïda.
Une enquête a été menée à l'encontre de la controversée Ong, dont les premiers résultats ont montré qu'elle était proche du régime du Premier ministre Erdogan et recevait de l'aide financière des municipalités dirigées par l'AKP (Parti de la justice et du développement, islamo-conservateur) au pouvoir à Ankara. Ce qui n'a pas manqué de susciter beaucoup de polémiques.
Le décret loi du 24 septembre 2011
En Tunisie, le vent de la liberté a soufflé un 14 Janvier 2011 entrainant avec lui un profond chamboulement de la société civile avec une explosion du nombre d'Ong et d'associations.
La prolifération de ces organisations est certes bénéfique pour un pays en transition démocratique comme la Tunisie, néanmoins elle est loin d'être exempte de dangers potentiels. En effet, des campagnes électorales de partis politiques menées à travers des associations de développement régional, recrutement de combattant(e)s pour le jihad en Syrie opérés à travers les associations coraniques, espionnage et immersion de certains pays étrangers dans les affaires internes de la Tunisie sont des exemples frappant d'activités illicites pouvant être entreprises en Tunisie sous le couvert d'Ong et d'associations.
Le contrôle du financement de ces organisations semble être une solution préconisée par le gouvernement tunisien afin de limiter les abus et garder un œil attentif sur les activités menées par ces Ong et associations.
En effet, le décret loi n°2011-88 du 24 septembre 2011 a instauré une série d'obligations à la charge des responsables d'Ong et associations opérant en Tunisie notamment la publication des sources de financements étrangers au niveau de leurs sites internet et d'en aviser le secrétaire général du gouvernement.
A cet effet, le modèle tunisien de contrôle des associations semble être, à première vue, modéré, à cheval entre celui d'Erdogan et celui de Poutine, et pourrait convenir parfaitement pour la Tunisie d'aujourd'hui.
L'affaire du don qatari
Néanmoins, des soupçons viennent semer le doute quant à l'efficience de ce modèle tunisien de contrôle, étant donné que des informations, diffusées ces derniers jours par des médias locaux, évoquent l'implication d'anciens ministres dans des affaires de financements d'associations caritatives servant l'intérêt de certains partis politiques.
En effet, un don qatari, signé par le gouvernement Larayedh, d'un montant de 75 millions de dollars, n'aurait pas suivi les procédures habituelles, mais aurait été transféré à «une caisse noire», un compte secret, à la disposition d'associations caritatives proches de la Troïka, ancienne coalition gouvernementale dominée par le parti islamiste Ennahdha, pour des fins politiques*.
Face à ces suspicions autour du don qatari et à l'opacité qui entoure les activités des associations en Tunisie un profond débat autour des axes suivants: analyse critique du modèle de contrôle des associations actuel préconisé par le gouvernement tunisien, son efficience et les améliorations à apporter semblent être de mise après plus de 3 ans de l'instauration de son cadre juridique.
Toutefois, l'efficacité d'un tel débat repose indéniablement sur une prise de conscience collective des dangers qui guettent notre pays; car si par malheur une telle mesure n'est pas entreprise à temps, le modèle tunisien de contrôle des associations risque de basculer d'un modèle modéré vers un modèle complice, à l'image de celui d'Erdogan avec des conséquences irréversibles sur le processus de transition démocratique
* Expert Comptable et Associé dans les cabinets 2S Firms.
** Article journal ''El Chaab'' (10 avril 2014) et l'émission ''Huitième jour'' sur Etounsia TV le 11 avril 2014.