Une affaire « extrêmement regrettable », à même d’affecter « la confiance des investisseurs alors que le Japon s’efforce d’améliorer la gouvernance d’entreprise ». C’est par ces mots que le ministre japonais des finances, Taro Aso a réagi, mardi 21 juillet, aux derniers développements du « scandale Toshiba », le groupe étant soupçonné d’avoir manipulé ses comptes - pour les embellir - durant plusieurs années. Auparavant, le ministre de l’économie, Akira Amari avait annoncé la démission de Norio Sasaki, vice-président du géant japonais de l’électronique et du nucléaire, qui dirigea le groupe entre 2009 et 2013. Et quelques heures plus tard, c’était au tour de l’actuel PDG, Hisao Tanaka, de quitter ses fonctions.
Ces départs font suite à la publication, lundi 20 juillet, des conclusions de la commission indépendante (composée d’avocats et de comptables) formée à la demande de Toshiba pour passer au peigne fin la comptabilité de l’entreprise. Au terme d’entretiens avec plus de 200 dirigeants et employés, cette commission a estimé que la direction du groupe nippon avait tout fait pour gonfler les profits de 152 milliards de yens (1,1 milliard d’euros) pendant sept ans.
L’« affaire Toshiba » avait véritablement éclaté le 3 avril, quand le groupe avait, pour la première fois, fait mention de problèmes comptables. Cela faisait suite à la divulgation d’informations adressées dès février à la Commission de surveillance des échanges et des titres (CSCE), le gendarme de la bourse japonaise. Depuis lors, le titre Toshiba a perdu 26 % en Bourse et le groupe n’a pas finalisé ses comptes pour l’exercice 2014, clos fin mars. Il devrait l’avoir fait en septembre.
Dans un premier temps, la direction de Toshiba s’était contentée d’évoquer des erreurs fortuites dans l’imputation de pertes relatives à des chantiers d’infrastructures, qui n’auraient pas « été enregistrées dans les temps. »
La commission arrive à des conclusions bien différentes. Les employés du groupe auraient subi d’énormes pressions pour atteindre les objectifs de profits à court terme. Cette politique, baptisée « The Challenge », aurait été mise en place du temps d’Atsutoshi Nishida, dirigeant l’entreprise de 2005 et 2009, après notamment l’onéreuse acquisition, en 2006, de la branche nucléaire de l’américain Westinghouse.
Lors de réunions mensuelles avec les responsables de branches et de filiales, des objectifs élevés d’amélioration des résultats étaient imposés. Il fallait notamment limiter l’impact sur les profits de la crise de 2008 – aux conséquences graves sur l’activité des composants électroniques – et de la catastrophe de mars 2011 dans le nord-est de l’archipel, qui a nui à l’activité nucléaire. En manque de vision, le groupe se serait concentré sur les profits à court terme.
Les auteurs du rapport disent avoir constaté l’existence d’une « culture d’entreprise » extrêmement hiérarchisée, « interdisant de se dresser contre la volonté du chef ». Au fil des 82 pages qui le composent, le document décrit « une tentative délibérée de gonfler l’apparence de profits nets ».
Cette politique aurait été poursuivie par Norio Sasaki et Hisao Tanaka – ce dernier, croit savoir le quotidien économique Nihon Keizai, pour ne pas avoir l’air d’enregistrer des résultats plus mauvais que son prédécesseur. Le conditionnel s’impose, la commission n’ayant pas apporté de preuves formelles de l’implication directe des trois dirigeants.
Le rapport a été transmis à la CSCE, qui va mener ses propres investigations et éventuellement recommander à l’agence des services financiers (FSA) d’imposer une amende à Toshiba.
La FSA va également ouvrir une enquête sur Ernst & Young Shinnihon, le cabinet d’audit qui signait les bilans de Toshiba. La Bourse de Tokyo pourrait, de son côté, placer Toshiba sous surveillance, voire l’exclure des cotations. Les actionnaires pourraient engager des poursuites, au Japon et aux États-Unis, sous la forme d’une action de groupe.
L’affaire Toshiba est le plus gros scandale de manipulation de bilans depuis l’affaire Olympus de 2011, qui portait sur la dissimulation de quelque 135 milliards de yens (1 milliard d’euros) en vingt ans. Elle montre que les efforts pour améliorer les pratiques de gestion se heurtent à des limites.
Dans le cadre des « Abenomics », ces mesures visant à revigorer l’économie japonaise, le gouvernement du premier ministre Shinzo Abe a mis en place, en avril 2014, une version japonaise du « Stewardship code », un ensemble de règles imaginées au Royaume-Uni en 2010, incitant les investisseurs à plus de transparence et à une plus grande implication dans la gestion des entreprises.
Le 1er juin, un nouveau code de gouvernance est entré en vigueur. Toshiba, qui a quatre administrateurs externes avec pouvoir de nomination des dirigeants, se voulait parmi les entreprises modèles dans ce domaine.