Les principaux problèmes de l’économie tunisienne, selon Christine Lagarde

Thu, 10/09/2015 - 14:44

La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a prononcé mercredi 9 septembre 2015 à la Banque centrale de Tunisie, un discours devant un panel d’investisseurs et d’hommes d’affaires. On y trouve une analyse détaillée de la situation de l’économie tunisienne et des principaux facteurs qui la freinent. Entre les problèmes économiques de l’Europe, dont dépend la Tunisie pour ses exportations à hauteur de 70%, la masse salariale qui représente 13% du PIB ou la bureaucratie de l’administration tunisienne, Mme Lagarde a été bien franche dans son analyse. Les solutions existent, encore faut-il qu’elles soient mises en application. Voici quelques extraits de son discours.

Consensus « (…) Et pourtant, la Tunisie a su surmonter ces épreuves. Comment? En ne perdant jamais de vue un objectif primordial : le consensus doit servir de socle à la nouvelle démocratie. Un consensus fondé sur le respect, les opportunités économiques et la solidarité nationale. » Europe « La conjoncture extérieure antérieure aux événements du Bardo et de Sousse a ajouté de nouvelles difficultés. La faible croissance de l’Europe — principal partenaire commercial de la Tunisie — a eu un impact important sur deux secteurs majeurs de l’économie tunisienne. Tout d’abord le commerce. Plus de 70% des exportations Tunisiennes sont à destination de l’Europe et d’après nos analyses, un recul de 1 point de la croissance en Europe fait baisser de 0,6 point celle de la Tunisie. C’est loin d’être négligeable. »

 Tourisme « Le tourisme est l’un des moteurs de l’économie tunisienne : il représente près de 7 % du PIB et emploie plus de 400.000 personnes. Et près d’un touriste sur deux (45 % exactement) est Européen. Ce secteur aussi a été rudement éprouvé par le ralentissement Européen. L’an dernier, les arrivées de touristes européens ont chuté de 26 % et les recettes ont été inférieures de 15 % à celles de 2010. Les récents attentats ont aussi porté un nouveau coup au tourisme, avec une baisse attendue des recettes de 50 % par rapport à l’an dernier et des répercussions tangibles sur l’économie, dont l’impact sera très significatif en matière d’emploi Nous prévoyons en conséquence une croissance de l’activité économique de seulement 1 % pour l’année en cours, selon nos dernières prévisions. » Pétrole « Nous nous attendons à ce que les cours des matières premières restent bas pendant une période prolongée. Cela permettra de réduire les déséquilibres des comptes extérieurs et budgétaires. Une baisse des cours du pétrole de 10 dollars par baril permet, selon nos estimations, un recul des déficits budgétaire et extérieur de la Tunisie de 0,6 % du PIB. Ceci constitue des gains significatifs pour la Tunisie, comme pour nombre d’autres pays importateurs. » La voie à suivre « Laissez-moi commencer par ce magnifique proverbe tunisien qui dit : «Qui veut de belles choses doit veiller toute la nuit.» Chômage et pauvreté Ne nous berçons pas d’illusions. La route qui mène vers le succès économique de la Tunisie ne sera pas aisée car elle est semée d’obstacles. En premier lieu, le nombre des sans-emploi reste très élevé, particulièrement chez les jeunes et les femmes. Le taux de chômage des jeunes — 34 % — est le double du taux de chômage global. Et les disparités régionales — un facteur déterminant dans le déclenchement du Printemps arabe — restent considérables. Le taux moyen de pauvreté est trois fois plus élevé dans l’intérieur du pays que dans les régions côtières plus aisées. » Baisse des subventions versus augmentations des salaires Il faut un budget pro- croissance. Pour exploiter le potentiel de croissance de la Tunisie, il faudra accroître les dépenses d’investissement. L’an dernier, une marge budgétaire de 1,6 % du PIB a été dégagée grâce à la baisse des subventions énergétiques liée à la diminution des cours pétroliers internationaux. Ces économies ont toutefois été absorbées en grande partie par une hausse des salaires de la fonction publique. La masse salariale de la Tunisie avoisine 13 % du PIB, ce qui en fait une des plus élevées au monde.

Dépenses publiques et réforme fiscale Améliorer la composition du budget afin de promouvoir la croissance nécessitera la réorientation des dépenses publiques au profit des investissements et des dépenses sociales. Cela nécessitera aussi une réforme du système fiscal, afin de le rendre à la fois plus équitable et plus efficace.(..) Dans le cas de la Tunisie, par exemple, il est possible d’améliorer l’équité et l’efficacité de l’appareil fiscal en le simplifiant, en le rendant plus progressif et en réduisant l’écart entre les taux d’imposition des secteurs nationaux et extraterritoriaux. Réforme bancaire Un système bancaire moderne, soumis à une stricte supervision et ouvert à la concurrence, est indispensable pour améliorer l’accès au crédit et fournir aux secteurs productifs les ressources nécessaires, à tous les secteurs productifs, les start-ups comme les PME, les grands groupes comme l’économie solidaire. Les banques publiques constituent un bon point de départ : elles rassemblent à elles seules 40 % du total des actifs bancaires et plus d’un quart des créances en souffrance. La recapitalisation de ces établissements, et la restructuration d’autres, sont des premiers pas importants, qui doivent permettre d’améliorer les pratiques de gouvernance et faciliter l’intermédiation financière. Mais il faut poursuivre. Climat des affaires La Tunisie a besoin d’un climat des affaires de premier ordre pour que la croissance puisse décoller rapidement. Actuellement, les entreprises subissent le carcan d’une réglementation complexe et pesante. Ainsi, d’après les indicateurs « Doing Business » de la Banque Mondiale, il faut 94 jours pour obtenir un permis de construire, et 50 % des secteurs économiques font face à des restrictions de tout ordre qui freinent les investissements. Cette réglementation asphyxie le secteur privé, brouille la transparence des règles et entrave les investissements et la création d’emplois. Il faut maintenant que toutes les entreprises bénéficient de « l’égalité des chances ». Deux textes de loi peuvent changer la donne. Le premier est le nouveau code des investissements, qui sera crucial pour doper les investissements privés domestiques ou internationaux. Le second est la loi sur la concurrence et les prix, approuvée par le Parlement la semaine dernière, qui permettra d’ouvrir de nouveaux débouchés et d’éliminer les pratiques discrétionnaires. Le monde vous regarde ! La Tunisie s’engage aujourd’hui dans une nouvelle phase historique de démocratie, vers une société nouvelle caractérisée par la solidarité et la cohésion. Une société unie dans la quête du progrès, des opportunités et de la prospérité économiques. Le monde vous regarde et se tient fermement à vos côtés. N’en doutez pas, le Destin va vous répondre.