Un certain 14 Janvier 2011, un vent de liberté a soufflé sur la Tunisie entraînant avec lui un profond chamboulement de la société civile avec une explosion du nombre d’ONG et d’associations. La prolifération de ces organisations est certes bénéfique pour un pays en transition démocratique comme la Tunisie, néanmoins elle est loin d’être exempte d’éventuels dangers. En effet, le recrutement de combattant(e)s pour le « JIHED » opéré à travers les associations coraniques, l’espionnage et immersion de certains pays étrangers dans les affaires internes de la Tunisie et les campagnes électorales de partis politiques menées à travers des associations de développement régional sont des exemples frappant d’activités prohibées pouvant être entreprises en Tunisie sous le couvert d’ONG et d’associations.
Instaurer un cadre légal de la vie associative semblait être une étape primordiale afin de limiter les abus et contrôler les activités menées par ces ONG et ces associations. En effet, le décret-loi n°2011-88 du 24 septembre 2011 a instauré une série de règles et d’obligations à la charge des responsables d’ONG et associations opérant en Tunisie notamment :
- La publication des sources de financements étrangers au niveau de leurs sites internet et d’en aviser le secrétaire général du gouvernement.
- Tenir des registres : Registre des membres, registre des délibérations des organes d’administration, registre des activités et des programmes et registre des aides, dons et legs
- Interdire toutes les transactions financières de débit et de crédit, par espèces dépassant les 500 DT
- Soumettre les associations et ONG dont les ressources annuelles dépassent les 100.000 dinars à la désignation d’un commissaire aux comptes
- L’obligation de tenir une comptabilité conformément au système comptable des entreprises mentionné dans la loi n°96-112.
Ainsi, les associations et ONG opérant en Tunisie ont l’obligation de tenir une comptabilité d’engagement depuis 2011.Néanmoins en l’absence de norme comptable spécifique* les associations et les ONG qui ont publié des états financiers, l’ont fait sur la base de Normes comptables inadaptées à leur activité et à leurs spécificités.
Après plus de 6 années d’attente, le Conseil National de la Comptabilité vient enfin d’approuver la norme comptable relative aux associations, aux partis politiques et aux autres organismes sans buts lucratifs la NCT 45, permettant ainsi aux associations et aux ONG d’avoir un cadre comptable spécifique à leur activité.
Cette norme s’applique désormais pour les exercices ouverts à partir du 1er Janvier 2018 toutefois pour l’élaboration des états financiers du premier exercice d’entrée de la norme, la présentation des chiffres comparés de l’exercice précédent n’est pas obligatoire.
Par ailleurs, la nouvelle norme NCT 45 prévoit la publication des états financiers comportant :
- L’état de la situation financière ;
- L’état des produits et des charges ;
- L’état des flux de trésorerie ;
- Les notes aux états financiers.
Compte tenu de l’importance qu’occupent les fonds dont les associations disposent et les engagements financiers qu’elles gèrent pour les utilisateurs de leurs états financiers, la norme prévoit que les éléments de l’état de la situation financière soient présentés selon leur nature en privilégiant l’ordre décroissant de liquidité pour les actifs et d’exigibilité pour les passifs.
La notion de Capitaux propres, non adaptés aux associations, a été remplacée par la notion d’Actifs Nets. Ces actifs nets sont composés principalement de l’Excédent ou Déficit de l’exercice, des Excédents ou déficits reportés, les subventions d’investissement reçus, les apports et les dotations.
Compte tenu des spécificités des associations, le résultat positif appelé « Excèdent » et le résultat négatif appelé « Déficit » doivent systématiquement être affecté :
- En réserve ou report positif s’il est excédentaire ;
- ou en report à nouveau négatif s’il est déficitaire .
En ce qui concerne l’état des produits et charges il est établi selon le classement des produits et des charges en fonction de leur nature. Cet Etat doit dégager l’excédent ou le déficit de l’exercice par la différence entre les produits et les charges en reflétant ainsi la performance de l’association.
Les produits des associations sont composés essentiellement de :
- Cotisations des adhérents ;
- Revenus des activités et manifestations ;
- Subventions ;
- Les apports non monétaires (contributions en nature sous forme de biens ou de prestations de services) ;
- Les apports monétaires.
Pour ce qui est de l’état de flux de trésorerie, il doit présenter les flux:
- Liés aux activités courantes (encaissements des cotisations, des manifestations, des subventions, décaissement des sommes accordées aux fournisseurs, des rémunérations au personnel…)
- Liés aux activités d’investissement (décaissements pour acquisition des immobilisations, encaissement suite à des cessions d’immobilisations…)
- Liés aux activités de financement (encaissements des dotations, provenant des emprunts, décaissements suite au remboursement des emprunts…)
Afin de permettre une meilleure intelligibilité des états financiers, la nouvelle norme comptable a exigé la publication de certain nombre d’informations au niveau des notes aux états financiers.
Ces notes sont :
- Notes sur le respect du référentiel comptable en vigueur
- Notes renseignant sur le contenu de l’état de la situation financière, de l’état des produits et des charges et de l’état de flux de trésorerie
- Notes concernant d’autres informations spécifiques aux OSBL ( Etat de variation des actifs nets, note relative à la répartition des cotisations par nature de cotisant…)
Par ailleurs, cette nouvelle norme a introduit certaines nouveautés comptables tenant compte des particularités des associations. En effet, cette norme a accordé la possibilité aux associations de comptabiliser les apports en nature (biens ou services) si leur valeur peut être déterminé d’une façon fiable (existence de pièces justifiant leur juste valeur) , par contreen ce qui concerne les contributions bénévoles particularités du secteur non lucratif qui peuvent être considérés comme une sorte d’apport non monétaire , la norme a précisé que ces contributions ne pouvaient pas être comptabilisées mais doivent plutôt être présentées au niveau des notes aux états financiers.
Face aux dispositions de cette nouvelle norme comptable relative aux OSBL*, un réel débat autour de son application future semble être de mise. En effet, toutes les associations et ONG opérant en Tunisie semblent ne pas disposer des mêmes moyens humains et financiers et risquent fortement de ne pas adoptersystématiquement cette norme comptable d’autant plus que le système mis en place par le gouvernement pour le contrôle des associations a montré ses limites ces dernières années au vu du nombre de scandales autours du monde associatif.
Selim kouidhi Expert-Comptable Associé 2SFirms
* A l’exception des normes comptables NCT 40 relatives aux structures sportives privées et NCT 32,33 et 34 relatives aux associations autorisées à accorder des micro-crédits.
* OSBL : Organismes sans Buts Lucratifs