Tunisie - Accord Petrofac: Une recette à généraliser ?

Mon, 09/26/2016 - 09:26

Aujourd’hui, le dossier de Petrofac est résolu –ou presque. Cette société va reprendre son activité, après huit mois d’arrêt de production, tandis que les kerkenniens vont retrouver leur sérénité et le goût de la vie, même si leurs revendications ne sont pas toutes satisfaites. Tout Tunisien de bon sens ne peut que s’en féliciter, surtout pour la manière utilisée pour y arriver, en l’occurrence le contact direct, le dialogue et le consensus.

Tous ceux qui ont continué, même après la résolution du problème, à diaboliser les sans-emploi sit-inneurs, à imputer la responsabilité de l’insurrection des insulaires à deux partis (Front populaire et Hizb Ettahrir) et à qualifier de «faible» le gouvernement de Youssef Chahed pour avoir cédé aux pressions des protestataires et pour n’avoir pas utilisé la force légale pour régler les problèmes, ont simplement tort et ont fait preuve d’égoïsme criard. Car ils n’avaient de souci que pour leurs intérêts étroits alors que la problématique transcende un simple bras de fer entre des sit-inneurs et une société mixte est plus grave.

Haro, particulièrement, sur ces apprentis experts, journalistes et avocats qui s’étaient acharnés, avec la complicité de médias peu professionnels et superficiels, à considérer les indignés des îles Kerkennah comme des hors-la-loi et à inciter le gouvernement à les criminaliser. Pis, ces partisans de la politique du bâton, qui étaient pour la plupart des thuriféraires de Ben Ali, ont estimé que le départ de Petrofac aurait été plus bénéfique pour le pays que la manière avec laquelle le problème était résolu, prétendant que le syndrome Petrofac va faire tâche d’huile dans le pays et va ouvrir «la porte de l’enfer» pour le gouvernement Youssef Chahed.

Une solution juste à l’honneur du gouvernement

Empressons-nous de reconnaître ici que la solution pour laquelle le gouvernement a opté pour mettre fin au problème Petrofac est indéniablement la plus difficile et la plus ardue. Cependant, au regard de l’insurrection sociale non encadrée qui couve dans le pays et qui se manifeste de temps à autre dans tout le pays avec de plus en plus de violence, elle semble être la plus audacieuse et la plus efficace.

Elle vient illustrer de manière éloquente les prémices d’une volonté du pouvoir politique à résoudre les véritables problèmes du pays. Elle vient l’engager à essaimer la solution de Petrofac à travers tout le pays et à résoudre ainsi les épineuses problématiques de l’iniquité des chances et du déséquilibre entre les régions, d’une part, et entre les localités et les chefs lieux des gouvernorats, d’autre part.

Ces problématiques ne datent certes pas d’aujourd’hui, elles remontent aux dictatures des beys, de Bourguiba et de Ben Ali. Elles ont même, par leur effet discriminatoire, des relents coloniaux. L’erreur des politiques qui se sont succédé à la tête du pays depuis l’accession à l’indépendance -à l’exception du collectiviste Ahmed Ben Salah, le père de la décentralisation en Tunisie- est d’avoir été par excellence centralistes, régionalistes, clientélistes et discriminatoires à dessein, notamment en ce qui concerne l’exploitation des externalités des ressources naturelles du pays.

Les aberrations…

Plus simplement, les sites de production en Tunisie, généralement localisées dans l’arrière-pays, subissent les externalités négatives alors que les externalités positives vont aux grandes villes du littoral.

A titre indicatif, les communautés résidant à des dizaines de mètres des barrages ne sont pas alimentées en eau potable alors que l’eau retenue dans ces plans d’eau est acheminée à des centaines de kilomètres vers des villes lointaines.

Autres exemples, le tabac est cultivé à Jendouba mais sa transformation est assurée par une manufacture à Kairouan. Les dattes sont produites au Djerid mais leur conditionnement est assuré au Cap Bon -retenu bizarrement dans les statistiques officielles du pays comme “la première région exportatrice de dattes“ (une aberration). Les céréales sont produites au nord-ouest mais les usines de transformation sont implantées à Tunis, Nabeul, Sfax et autres villes.

Le marbre est extrait à Thala (région de Kasserine) mais sa transformation se fait sur le littoral avec en prime la dégradation de l’infrastructure en raison de la circulation de camions lourdement chargés… Et la liste est loin d’être exhaustive.

Pour une fois, un objectif de la révolte du 11 janvier est réalisé

C’est seulement à la faveur des libertés arrachées après le soulèvement du 14 janvier 2016 (liberté de s’exprimer, liberté de manifester…) que les victimes de cette discrimination ont pu rendre publiques les frustrations, les exactions et privations qu’ils ont subies depuis plus 60 ans de soi-disant d’indépendance.

Malheureusement, les gouvernants qui ont été la tête du pays après la révolte du pays n’ont pas été à la hauteur et ont refait les mêmes erreurs parfois avec plus de violence comme en témoigne, au temps du règne d’Ennahdha (Troïka), la répression à la chevrotine de manifestants à Siliana (je vois Ali Larayedh sourire).

Les insurrections sociales qui ont eu dans l’arrière-pays, particulièrement à Gafsa, à Kasserine, à Thala, à Kerkennah, à Fawar, à Tataouine, à Fernana, à Tajerouine, à Ben Guerdane et autres zones du pays s’inscrivent toutes dans le cadre de cette révolte contre la centralisation excessive, le régionalisme et la discrimination sous toutes ses formes.

Est-il besoin de rappeler que les habitants du bassin minier ont ras-le-bol de voir les trains transportant du phosphate sortir du bassin minier et revenir vides sans aucun dividende développemental?

Est-il besoin de rappeler que les insulaires kerkenniens ont marre de voir Petrofac produire et vendre au prix fort du gaz naturel sans que cela ne se répercute sur le développement de leur île? Pis, Petrofac, entreprise peu respectueuse de l’environnement, a empoissonné leur quotidien par la pollution qu’elle génère chaque jour. Les quelques équipements sanitaires fournis par la compagnie à l’hôpital régional de Kerkennah (scanner, échographe, salle d’opérations, presse olives, ordinateurs pour écoles…) sont des miettes par rapport aux bénéfices réalisés par la société et au coût des dégâts occasionnés à la mer, source de revenus séculaire des insulaires.

Pour un développement plus équitable

In fine, on peut dire que l’accord «à l’amiable» du différend qui a opposé les kerkenniens, d’une part, à Petrofac et le gouvernement, d’autre part, est un bon accord. Il augure d’une nouvelle méthodologie dans le traitement des problèmes développementaux des régions conformément aux objectifs de la révolte du 14 janvier 2011 sans laquelle ce même gouvernement et ces faux experts et avocats ne seraient pas là.

La règle est de faire en sorte que les entreprises publiques (Groupe chimique, CPG, SONEDE, ETAP, El Fouledh, STEG, STIR et autres…) qui gèrent les sites de production de ressources naturelles du pays intègrent dorénavant dans leur business-plan des stratégies de développement viables, en priorité et sur place, au profit des communautés qui résident tout autour, sachant, bien entendu, que les ressources naturelles appartiennent, conformément à l’article 13 de la Constitution, à tout le peuple tunisien et sous l’autorité de l’Etat. Partout dans le monde les grandes entreprises rayonnent sur le milieu environnant et font vivre ses habitants. C’est une lapalissade.

A bon entendeur